Fête de l’université – Doctorats Honoris Causa.
Thème : «Tous connectés… un levier pour la démocratie?»
Discours de l’AGL :
Tous connectés… Tous solidaires ?
Bonjour à toutes, bonjour à tous,
C’est avec joie qu’au nom des étudiants nous accueillons nos nouveaux Docteurs Honoris Causa.
A l’image de 2011, 2012 se présente comme une année de luttes et de mobilisations. Dans la société civile, nous assistons à un retour du politique et à une soif de démocratie réelle. Dans ce cadre, « être connectés » nous permettra, nous l’espérons, de nous montrer toujours plus solidaires avec ceux qui aspirent à cet idéal.
Concernant le thème de cette année, évoquons certains défis à relever.
Sommes-nous réellement « Tous connectés »… Vraiment tous ?
Nous n’avons pas le droit d’oublier ceux qui n’ont pas accès « aux bons réseaux » de nos sociétés occidentales. Et surtout, nous ne pouvons pas les considérer « hors démocratie ».
« Tous connectés »… Véritablement informés ?
A quel type d’informations avons-nous accès ? Quelles garanties de qualité et de neutralité avons-nous lorsque l’information émane de médias guidés par des intérêts privés ? Merci Mme Lusiku de nous prouver qu’une information libre et indépendante est encore possible.
« Tous connectés »… Meilleur discernement ?
Recevoir des informations ne suffit pas. La démocratie implique le débat dans l’espace public afin d’identifier les meilleurs choix. Oui, Professeur Cornu, vous faites bien de vous battre « Pour une éthique de l’information »[1]
« Tous connectés »… Mieux organisés ?
Les véritables changements exigent un dépassement de l’individualisme. Si nous voulons que nos sociétés changent, s’organiser devient indispensable. Dénoncer pour annoncer, s’indigner pour proposer. N’ayons pas peur de l’engagement social, intellectuel, politique. Amnesty International nous montre qu’une bonne organisation peut aboutir à de belles victoires.
Néanmoins, ne soyons pas naïfs, le simple fait d’être connectés ne constitue pas un levier mécanique vers la démocratie.
Pour une démocratie réelle et solidaire
Mais quelle démocratie voulons-nous ? Nous voulons une démocratie réelle et solidaire, levier pour une société plus juste.
Dans cette perspective, ainsi que pour répondre aux défis que nous venons d’évoquer, l’université a plusieurs rôles à jouer :
– S’opposer aux exclusions et aux inégalités
En Belgique, rappelons-nous que l’université est conçue comme un service public. Elle doit promouvoir l’égalité des chances au sens large, l’intégration sociale.
– Etre, sans compromissions, en quête de vérité
Rabelais disait déjà : « Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme ».
Pour expliciter notre propos, nous nous permettons de citer la lettre de démission, d’il y a quelques jours à peine, d’une scientifique de l’Ulg :
« Jamais l’Université n’a été aussi complaisante envers la tendance dominante, jamais elle n’a renoncé à ce point à utiliser son potentiel intellectuel pour penser les valeurs et les orientations que cette tendance impose à l’ensemble des populations, y compris aux universités elles-mêmes. D’abord contraintes par les autorités politiques, comme on l’a vu de manière exemplaire avec le
processus de Bologne, il semble que ce soit volontairement maintenant que les directions universitaires (à
quelques rares exceptions près) imposent la même fuite en avant, aveugle et irréfléchie, vers des savoirs
étroitement utilitaristes dominés par l’économisme et le technologisme. »[2]
– Favoriser l’esprit critique
Il y a tout juste trois mois, à l’Université d’Harvard, 70 étudiants ont quitté en bloc le cours assuré par le Professeur Mankiw, ancien assesseur du Président Bush et actuel conseiller du pré-candidat républicain Romney.
Pourquoi ? La raison est clairement exprimée dans la lettre ouverte adressée par ces étudiants à Mankiw :
« Aujourd’hui, nous sortons de votre cours afin d’exprimer notre mécontentement envers le biais conservateur de ce cours d’introduction à l’économie. Nous sommes très préoccupés de la façon dont cet enseignement affecte les étudiants, l’université et la société dans son ensemble »[3]
Vous ignoriez, peut-être, que le livre de Mankiw est un support de cours officiel de la majorité des cours d’introduction à l’économie dispensés à l’UCL.
Alors, comment peut-on espérer que l’université réponde aux défis sociétaux actuels si les étudiants n’ont pas accès à des outils scientifiques alternatifs ?
Etes-vous sûrs, chers professeurs et assistants, du potentiel créatif et non répétitif de vos systèmes d’évaluation ? Bousculez-nous ! Ne faites pas de nous des instruments dociles au service du système économique actuel, mais formez des hommes et des femmes libres, capables de penser par eux-mêmes.
– S’engager pour le changement
Terminons donc par une proposition qui prolonge le thème de cette année :
« Tous connectés »… Tous solidaires ?
Là est la question fondamentale selon nous, le vrai défi à relever.
Un grand penseur péruvien, Mariátegui, disait qu’il ne fallait plus classer les gens entre progressistes et conservateurs mais plutôt entre des personnes « avec de l’imagination et d’autres sans ». Lui-même proposait d’opposer au « pessimisme de la réalité » l’optimisme de la volonté et de l’action.
A l’image de nos DHC, nous vous souhaitons à tous d’avoir beaucoup d’imagination et d’optimisme dans votre engagement à la construction d’une démocratie réelle et solidaire.
[1]Titre de plusieurs de ses ouvrages.
« Journalisme et vérité. Pour une éthique de l’information », Genève, Éditions Labor et Fides, 1994
« Éthique de l’information », Paris, Presses universitaires de France, collection « Que sais-je? », 1997
« Journalisme et vérité. L’éthique de l’information au défi du changement médiatique », Genève, Éditions Labor et Fides, 2009
[2] http://pubdoc.ulg.ac.be/files/20120127070946_1_00a34ed9a3c7925517c8299ed.pdf
[3] Publiée en anglais par le site de la HARVARD POLITICAL REVIEW. Version française issue du site: « http://alternatives-economiques.fr/blogs/raveaud/2011/11/09/ca-chauffe-a-harvard/ »